Les origines

Les origines

Selon la tradition, l’Inde aurait été le berceau de toutes les disciplines corporelles de bien-être.
Enseignées par des moines bouddhistes, ces techniques se propagèrent d’un côté vers la Birmanie, le Cambodge, le Laos et la Thaïlande, de l’autre vers la Chine où elles se modifièrent sous l’influence conjuguée du Taoïsme et du Confucianisme.

Le Shiatsu (pression des doigts) s’inscrit dans la filière particulièrement riche des techniques manuelles pratiquées depuis des millénaires en Extrême Orient, mais son histoire est récente et le lieu précis de sa naissance est le Japon.

Dans ce pays, la plus ancienne des techniques manuelles est nommée TEATE (mains dessus) et elle est mentionnée dans un texte datant de 2.000 ans. Entre les années 710/794, le Japon adopta, sous le terme de Kampo, le système médical chinois, qui utilisait les massages (AN-MO et TUINA), l’acupuncture, la moxibustion et la pharmacopée chinoise.

Ivan Bel, Praticien, Enseignant et Auteur du livre « L’esprit du Shiatsu » va vous permettre à travers les lignes qui vont suivre de remonter le temps pour découvrir l’évolution du Shiatsu au fil des siècles :

De l’Anma au Shiatsu : nos racines historiques

Jusqu’à très récemment, nous ne possédions que des bribes nous permettant de comprendre d’où venait le Shiatsu. Nous avions bien quelques informations laissées ici ou là dans les livres de Shizuto Masunaga ou Carola-Beresford Cooke, mais faute de mieux nous étions fondamentalement dans le flou artistique. Flou entretenu par les fondateurs des différents grands courants pour dire qu’avant eux, le déluge ! Le groupe de recherche « History of Shiatsu » fort de plus de 2000 passionnés défriche peu à peu les racines de l’histoire de notre art. C’est compliqué et lent, mais petit à petit on commence à se faire une bonne image de la manière dont notre art s’est créé. Et l’on est loin d’une création ex nihilo. Explications.

Voici un millénaire environ, l’archipel nippon adoptait le massage Anmo-Tuina venant de Chine, parmi les nombreuses techniques médicales de l’époque, dont le soin par les plantes, l’acupuncture et les rites chamaniques pour chasser les mauvais esprits (Gui) qui provoquent la maladie. Le génie japonais s’appropria toutes ces techniques, les adapta à sa mentalité et son sens de la minutie, et c’est ainsi que naquit le massage Anma. La période de Nara (l’une des anciennes capitales) fut décisive. En 712 de notre ère, Ō no Yasumaro rédige le Kojiki (古事記 Chronique des faits anciens) qui est le plus vieux livre du pays, dans lequel apparaissent les premières mentions de médecine au travers des récits de contes et mythes. Six ans plus tard, en 718, la 1ère école de médecine ouvre ses portes sur l’archipel. Financé par le gouvernement, elle enseigne les arts de la médecine chinoise, mais il est possible également de se spécialiser et de devenir Jugonshi (呪禁師) soit thérapeute par incantation de sortilèges médicaux ou Anmashi (按摩師) soit thérapeute en massage. Cette étude prenait trois années complètes et incorporait également l’étude des bandages/pansements et du reboutage (remise en place des os et articulations). En 984 Yasuyori Tamba rédige le premier livre médical jamais écrit en langue japonaise, le Ishinpō (医心方). Il couvre tous les domaines du monde médical, dont le Anma. On le voit, dès le départ, le massage Anma est intégré à la médecine, et les praticiens devaient apprendre non seulement les techniques propres à l’art du massage, mais également toutes les théories qui sont liées à la médecine du continent chinois (Yin/Yang, Terre-Homme-Ciel, Les 4 saisons, les 5 mouvements, les 6 niveaux des méridiens, les 7 blessures, les 8 principes du diagnostic…). Ce n’était donc pas à la portée du premier venu, car il fallait savoir lire. J’attire votre attention sur ce point car il est important pour comprendre la suite.

Déclin de l’Anma
Après des siècles de guerres fratricides où les clans luttèrent à mort pour le pouvoir, le Shogunat Tokugawa réunifie enfin tout l’archipel sous sa coupe et impose la paix. La société se codifie et se referme sur elle-même. À partir de 1555 des médecins étrangers sont cantonnés sur la petite île en face de la ville de Nagasaki, afin de contrôler leur influence sur la société. Avec leur arrivée, trois phénomènes de la plus grande importance vont alors avoir lieu.

  1. Par souci de paix sociale, le shogun créé un édit qui autorise les aveugles à devenir masseur Anma. Grâce à leur sens tactile très développé, ils vont faire merveille et devenir rapidement populaires, car ils ne sont pas chers et ne cherchent pas à faire de la médecine compliquée.
  2. Dans le même temps, la société, qui est enfin en paix, s’enrichit et les gens cherchent plutôt à se divertir et à se détendre, ce qui va contribuer davantage aux succès des masseurs aveugles. Mais ces aveugles ne peuvent pas lire et par conséquent les traditions et les textes classiques chinois ne peuvent être transmis. Le niveau s’appauvrit et on distingue clairement les Anmashi médicaux (pratiquant le Koho Anma) qui ont fait des études longues des aveugles qui ont fait généralement des études uniquement techniques et forcément plus courtes.
  3. Cela aurait pu perdurer longtemps ainsi si l’équilibre n’avait pas été rompu par un séisme immense : l’introduction des sciences médicales européennes, portugaises d’abord et hollandaises ensuite. Le seul exemple de la précision anatomique occidentale est une immense gifle aux sciences médicales traditionnelles et le crédit que le peuple et les médecins portent à leurs techniques va s’effondrer graduellement. Et ce, d’autant plus vite que les Européens forment des médecins et des chirurgiens qui vont faire sensation puisque les shoguns vont commencer à les demander dans leur cour durant la plus grande partie de l’ère Edo (ancien nom de la future capitale Tokyo).

Avec la fin des shoguns – qui sont des dictateurs militaires – et la restauration de l’empereur, l’ère Meiji (1868-1912) qui s’ouvre va accélérer ce phénomène de déclin de l’Anma. L’empereur ne veut pas que son pays soit colonisé comme l’a été la Chine, les Philippines et autres pays asiatiques. Pour cela, il se tourne résolument vers le futur et demande à la population, à l’armée et aux milieux des affaires de rattraper le niveau européen le plus vite possible. Pour cela, il faut jeter les anciens savoirs et se tourner vers une armée résolument moderne, des sciences modernes, une industrie moderne et bien entendu une médecine moderne. C’est le coup de semonce qui va presque achever toutes les techniques ancestrales au point qu’aujourd’hui encore ne survivent que quatre écoles d’Anma, dont deux privées qui ne sont pas ouvertes au public.

Revivalisme des techniques anciennes
Cette perte des savoirs anciens est vécue comme un drame par un certain nombre de personnes et un fort mouvement de retour aux techniques ancestrales va naître dans la première moitié du XIXe siècle. Deux ouvrages majeurs vont être le point de départ de la lutte pour la préservation de la tradition :

  • 1827, Anpuku Zukai (按腹圖解) de Shinsai Ōta, Yoshikoto Murata et Ryōsai Urabe est le livre qui explique les techniques de massage du ventre issues de l’Anma.
  • 1835, Anma Tebiki (按摩手引) de Fujibayashi Ryohaku et qui tente de sauvegarder toute la mémoire du massage Anma.

Nous avons eu la chance ces deux dernières années de voir paraître deux traductions sur l’Anpuku Zukai (voir notes en fin d’article). Il est fort à parier que pour le second ouvrage (Anma Tebiki) cela vienne également, car il s’agit de la source même du Shiatsu.

Continuellement les praticiens des thérapies traditionnelles se demandent comme se faire connaître. C’est là qu’intervient un homme engagé dans la préservation de la santé naturelle, Takichi Tsukuda (築田多吉著) qui s’est fait fort de recenser et de cataloguer les techniques dans un ouvrage toujours réédité et encore actualisé de nos jours. En 1925 (soit un siècle après la sortie d’Anpuku Zukai) il publie la 1ère édition du livre Katei Ni Okeru Jissaiteki Kango No Hiketsu (家庭に於ける実際的看護の秘訣, Secrets of Practical Nursing at Home). Ce livre est mieux connu sous le surnom de Akahon ou Livre rouge en raison de la couleur de sa couverture. Il connaîtra un succès jamais démenti à ce jour (10 millions d’exemplaires vendus) et cumulera en 2007 pas moins de 1619 éditions avec des mises à jour régulières.

Malgré cela, l’élan irrésistible du « modernisme » de l’ère Meiji balaie tout et l’Anma tombe en désuétude, risquant la disparition complète au grand dam des maîtres médicaux. C’est alors que l’un d’entre eux, Kazuma Fukunaga (福永数間), eut l’idée de publier en 1928 Chikara ōyō ryōhō (力応用 療法, Power Therapy) imprimé à frais d’auteur. Il y inclut une annexe intitulée Shiatsu hō (指圧法, Méthode de Shiatsu) et c’est la toute première fois qu’apparaît le terme « Shiatsu » dans une publication. Ce terme intrigue Takichi Tsukuda qui ouvre aussitôt une nouvelle rubrique dans son annuaire des thérapies et le Livre Rouge s’enrichit du terme « Shiatsu ». Devant le succès de cette promotion, le terme se diffuse.

A ce jour, le premier livre connu et entièrement dédié au Shiatsu est Shiatsu ryhōhō (指圧療法), soit « Thérapie Shiatsu » écrit par Kaisen Tanokura en 1931.

Le mouvement autour du mot Shiatsu est lancé. Pour ne pas perdre la paternité du terme, Fukanaga prend alors un nom de plume et se fait désormais appeler Tenpeki Tamaï (玉井天碧). En 1939 le Japon ne s’est pas encore lancé dans la guerre du Pacifique et Tamaï publie Shiatsu hō (指圧法) soit « Méthode Shiatsu ». Cette fois le succès est au rendez-vous, car le coup de maître de ces deux auteurs est de ne pas parler des méridiens ni des théories chinoises, mais de s’ancrer dans l’anatomie scientifique pour justifier son travail et les effets de celui-ci. Malgré tout, la fin de l’ouvrage de Tenpeki Tamaï reste très spirituelle et il recommande notamment de réciter tous les jours le Sutra du Cœur pour ouvrir la conscience à l’empathie.

Ces livres popularisent grandement le terme Shiatsu dans le milieu de l’Anma et son idée est immédiatement reprise par de nombreux maîtres, dont Tokujiro Namikoshi dès 1940 lorsqu’il ouvre son école à Tokyo. Jusqu’ici, lui comme Ryuho Okuyama, utilisaient le terme « Happaku-ho » soit « méthode de pression ». Très vite plusieurs écoles de Shiatsu apparaissent, mais tous leurs fondateurs ont un point en commun : ils sont tous formés à la médecine Kanpo et ont appris le Koho Anma, c’est-à-dire sa version médicale. C’est ce qui explique que d’entrée de jeu plusieurs styles de Shiatsu vont naître parallèlement en l’espace de quelques années seulement. À partir de là, le terme va devenir de plus en plus populaire. Quant à son fondateur Tenpeki Tamaï, il ne donne plus signe de vie, et l’on pense qu’il meurt dans les bombardements que subit le Japon à la fin de la guerre. Mais son œuvre va lui survivre pour arriver jusqu’à nous un siècle plus tard.

(À suivre)

Auteur : Ivan Bel

Relectrice : Claire Lacaze

Notes :

  • Ampuku : Abdominal Acupressure. The classics at the heart of Japanese bodywork. Philippe Vandenabeele. Editions Shinzui Bodywork International Institute, Fukuoka, 2020
  • Anpuku Zukaï. Ancien art du traitement de l’abdomen. Shinsai Ota, Shiatsu Milano Editore, 2022

 

L'esprit du ShiatsuL’ouvrage est disponible à l’achat sur cette page.

 

ET DE MANIÈRE PLUS CONTEMPORAINE ?
En 1957, le Ministère japonais de la Santé publiait le livre “Théorie et pratique du Shiatsu”, d’où est extraite la définition suivante : “Le Shiatsu est une technique qui utilise les doigts et les paumes des mains, pour exercer des pressions en des points déterminés, avec l’objectif de corriger des irrégularités de l’organisme, de préserver et d’améliorer l’état de santé et de contribuer à l’amélioration d’états morbides spécifiques”. En 1964 le Shiatsu était enfin reconnu comme une
pratique indépendante des massages.

En 1970, le Shiatsu fit son apparition en France grâce à des Maîtres comme Yuchi Kawada, Tusgo Kagotani, Ryotan Tokuda, Hiroaki Izumo et quelques autres, sans oublier des stages ponctuels animés par des personnalités prestigieuses comme Toru Namikoshi, Shizuto Masunaga et Wataru Ohashi.

En 1994, la Fédération Française de Shiatsu Traditionnel voyait le jour avec, pour vocation principale la défense, l’illustration et la promotion du Shiatsu d’une part, et son enseignement et sa pratique d’autre part.

Aujourd’hui, grâce à l’encadrement de la formation ayant permis l’émergence de praticiens sérieux et grâce et au caractère adaptatif de la pratique, de plus en plus de portes autrefois fermées s’ouvrent dans des domaines plus spécifiques tels que l’accompagnement dans le milieu hospitalier, le soin en entreprises, le sport…

Tout en continuant sa mission initiale de maintient d’une formation qualitative, la FFST ainsi que les autres instances représentatives du Shiatsu Français ( SPS, UPFST…) œuvrent de concert en France et en Europe pour le développement du Shiatsu.